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Boris Vian

Boris Vian



Biography, Biographie, Biografie

Boris Vian est un romancier, dramaturge, poète, parolier, traducteur et critique de jazz français du 20em siècle, né le 10 mars 1920 à Ville-d'Avray (Seine-et-Oise, aujourd'hui Hauts-de-Seine) et mort le 23 juin 1959 à Paris 7e, est un écrivain français, poète, parolier, chanteur, critique et musicien de jazz (trompettiste). Ingénieur de l'École centrale (promotion 42B), il est aussi scénariste, traducteur (anglo-américain), conférencier, acteur et peintre.

Il est caractérisé comme très engagé, antimilitariste et antiraciste. Il publie sous un autre nom des romans noir, aussi sombre que sulfureux. Il s'attaque à la morale, la religion, le travail... Il écrivit de nombreux romans tels que L'écume des jours ou encore J'irai cracher sur vos tombes.

 Sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, il a publié de nombreux romans dans le style américain parmi lesquels J'irai cracher sur vos tombes qui a fait scandale et a été interdit. Il a souvent utilisé d'autres pseudonymes, parfois sous la forme d'une anagramme, pour signer une multitude d'écrits.

Boris Vian a abordé à peu près tous les genres littéraires : poésie, document, chroniques, nouvelles. Il a aussi produit des pièces de théâtre et des scénarios pour le cinéma. Son œuvre est une mine dans laquelle on continue encore de découvrir de nouveaux manuscrits au XXIe siècle. Toutefois, sa bibliographie reste très difficile à dater avec précision, lui-même ne datant pas toujours ses manuscrits.

Il est également l'auteur de peintures, de dessins et de croquis, exposés pour la première fois à l'annexe de la NRF en 1946.

Pendant quinze ans, il a aussi milité en faveur du jazz, qu'il a commencé à pratiquer dès 1937 au Hot Club de France. Ses chroniques, parues dans des journaux comme Combat, Jazz-hot, Arts, ont été rassemblées en 1982 : Écrits sur le jazz. Il a aussi créé quarante-huit émissions radiophoniques Jazz in Paris, dont les textes, en anglais et en français étaient destinés à une radio new-yorkaise et dont les manuscrits ont été rassemblés en édition bilingue en 1996.

Son œuvre littéraire, peu appréciée de son vivant, a été saluée par la jeunesse dès les années 1960-1970. L'Écume des jours en particulier, avec ses jeux de mots et ses personnages à clef, a fait de lui un véritable mythe. Il est désormais un classique qu'on étudie dans les collèges et les lycées.
    « Si, au cours de sa brève existence, il a multiplié les activités les plus diverses, son nom s'inscrit aujourd'hui parmi les plus significatifs de la littérature française1. »

Boris Vian, réputé pessimiste, adorait l'absurde, la fête et le jeu. Il est l'inventeur de mots et de systèmes parmi lesquels figurent des machines imaginaires et des mots devenus courants de nos jours. Mais il a également élaboré des projets d'inventions véritables lorsqu'il était élève ingénieur à l'École centrale. La machine imaginaire la plus célèbre est restée le pianocktailnote 1, instrument destiné à faire des boissons tout en se laissant porter par la musiquenote 2,2

De santé fragile, surprotégé par sa mère, et par les médecins, il ne s'est jamais ménagé, comme s'il était pressé d'entreprendre toutes les activités possibles, avec le sentiment de la mort qui rôdait autour de lui : …« L'œuvre immense laissée de son vivant, et celle qu'il nous laisse [après sa mort], montrent qu'il écrivait vite, et regorgeait d'idées; on doit ajouter qu'il travaillait dix-huit heures par jour, qu'il dormait peu et que ses vingt ans d'activité comptent double. Il a vécu plus vite et plus longtemps qu'aucun d'entre nous » - Noël Arnaud
Il est mort à 39 ans d'un arrêt cardiaque, lors de la projection de l'adaptation cinématographique de son livre J'irai cracher sur vos tombes.

Sources / Wikipedia – 2015 11 19


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… Si Dieu s'est fait homme pour avoir de l'autorité sur terre, c'est évidemment qu'il se rendait compte qu'un homme, ça fait tout de même plus sérieux.
(Boris Vian / 1920-1959 / Roman, nouvelles et oeuvres diverses)
*
… Coucher ensemble, quand on s'aime, eh bien, il n'y a rien de mieux !...
Boris Vian ; Rue des Ravissantes (1989)
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… L'amour engendre la jalousie, qui en est la preuve.
Boris Vian ; Traité de civisme (1951)
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… Si l'on pouvait se procurer une femme aussi facilement qu'un verre de gin ou qu'un paquet de gauloises et si l'on avait le loisir, comme l'alcool et la cigarette, de la déguster en plein air sans être obligé de l'enfermer dans une chambre sale et pas appétissante, l'alcoolisme et l'intoxication disparaîtraient promptement !
Boris Vian ; Écrits pornographiques (1947-1958)
*
… Oui, la guerre, tout le monde est contre ; mais les mémoires de guerre, c'est très bien vu, et si on a tué cent mille personnes on est un héros... L'alcoolisme, tout le monde est contre... mais si on gagne un milliard avec des bateaux de vins, on est un grand socialiste.
Boris Vian ; Écrits pornographiques (1947-1958)
*
… La guerre est le plus grand de tous les maux.
Boris Vian ; Écrits pornographiques (1947-1958)
*
… Lire des livres érotiques, les faire connaître, les écrire, c'est préparer le monde de demain à la vraie révolution.
Boris Vian ; Écrits pornographiques (1947-1958)
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…La femme est ce que l'on a trouvé de mieux pour remplacer l'homme quand on a la déveine de ne pas être pédéraste.
Boris Vian ; Traité de civisme (1951)
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… Tout le monde, sans exception, voudrait être milliardaire ; chacun se considère aussi doué que son voisin.
Boris Vian ; La belle époque (2013).
*
… Dieu n'a d'intérêt que pour les gens qui ont peur de mourir, pas pour ceux qui ont peur de vivre.
Boris Vian ; L'herbe rouge (1950)
*
… Ce qui me dégoûte profondément, c'est de coucher avec la femme d'un cocu.
Boris Vian ; Théâtre inédit (1970)
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… La forme la plus élevée de la passion est celle qui peut lier un impuissant à une femme frigide.
Boris Vian ; Le Ratichon baigneur (1946-1952)
*
… Mieux vaudrait apprendre à faire l'amour correctement que de s'abrutir sur un livre d'histoire.
Boris Vian ; L'herbe rouge (1950)
*
… Vivre seul, c'est pas très marrant tous les jours !
Boris Vian ; Le loup-garou (1945-1953)
*
… La plus grande fatigue est d'être absent, sans intérêt à ce qu'on fait.
Boris Vian ; Théâtre inédit (1970)
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… Les parents, il faut les tenir à l'écart de sa vie conjugale, sinon on risque de briser le ménage. 
Boris Vian ; Théâtre inédit (1970)
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… Il ne faut jamais croire les femmes, même avec une fleur.
Boris Vian ; Derrière la zizique (2013).
*
… Dans les pays où les femmes manquent, un bon chien vaut mieux que de se masturber.
Boris Vian ; À collier (1948)

*
… Personne ne peut ruiner le gouvernement mieux que le gouvernement lui-même.
Boris Vian ; Henri Salvador s'amuse (1956)
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… Votre ignorance un jour vous fera plus de mal qu'un binaire jamais n'en fit au décimal.
Boris Vian ; Théâtre inédit (1970)
*
… Pour que le travail s'accomplisse avec intérêt, voire plaisir, il faut en supprimer le caractère obligatoire.
Boris Vian ; Traité de civisme (1951)
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… Méfiez-vous des paresseux qui ont des passions, ils y pensent tout le temps qu'ils se reposent.
Boris Vian ; La belle époque (2013).
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… Il y a des gens dans la vie que je hais, le monde est peuplé de brutes.
Boris Vian ; Le chevalier de neige (1974)
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… Il ne sert à rien de vivre normalement : la normalité n'existe pas.
Boris Vian ; L'écume des jours (1947)
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… Les gens perdent leur temps à vivre, alors il ne leur en reste plus pour travailler.
Boris Vian ; L'écume des jours (1947)
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… La vie n'est jamais banale, chaque événement que nous traversons recèle un mystère inexplicable.
Boris Vian ; L'écume des jours (1947)
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… Le plus clair de mon temps, je le passe à l'obscurcir.
Boris Vian ; L'écume des jours (1947)
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… Dans la vie, l'essentiel est de porter sur tout des jugements a priori.
Boris Vian ; L'écume des jours (1947)
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… Un paresseux doit travailler beaucoup pour, à ses instants libres, jouir de sa paresse.
Boris Vian ; Pensées (1920-1959)
*
… Les articles de fond ne remontent jamais à la surface.
Boris Vian ; Pensées (1920-1959)
*
… " ancien combattant ", c'est un mot dangereux; on ne devrait pas se vanter d'avoir fait la guerre, on devrait le regretter - un ancien combattant est mieux placé que quiconque pour hair la guerre. Presque tous les vrais déserteurs sont des " anciens combattants " qui n'ont pas eu la force d'aller jusqu'à la fin du combat. Et qui leur jettera la pierre? Non... si ma chanson peut déplaire, ce n'est pas à un ancien combattant, cher monsieur Faber. Cela ne peut être qu'à une certaine catégorie de militaires de carrière; jusqu'à nouvel ordre, je considère l'ancien combattant comme un civil heureux de l'être. Il est des militaires de carrière qui considèrent la guerre comme un fléau inévi-table et s'efforcent de l'abréger. Ils ont tort d'être militaires, car c'est se déclarer découragé d'avance et admettre que l'on ne peut prévenir ce fléau - mais ces militaires-là sont des hommes honnêtes. Bêtes mais honnêtes. Et ceux-là non plus n'ont pas pu se sentir visés.' sachez-le, cer-tains m'ont félicité de cette chanson. Malheureusement, il en est d'autres. Et ceux-là, si je les ai choqués, j'en suis ravi. C'est bien leur tour. Oui, cher monsieur Faber, figurez-vous, certains militaires de carrière considèrent que la guerre n'a d'autre but que de tuer les gens. Le général Bradley par exemple, dont J'ai traduit les mémoires de guerre, le dit en toutes lettres. Entre nous, les neuf dixièmes des gens ont des idées fausses sur ce type de militaire de carrière.
Boris Vian / lettre ouverte à M. Faber / February 1955


***

Le Déserteur - Un hymne pacifiste au destin exceptionnel.

Le 15 février 1954, Boris Vian, génial touche-à-tout qui se perçoit alors comme un raté, griffonne sur une table de bar parisien une chanson qui va susciter une java d'enfer : "Le déserteur", co-composée avec Harold B. Berg et enregistrée dans sa forme définitive l'année suivante. Son antimilitarisme va provoqué beaucoup de polémiques. L'écrire en ce début 54 est courageux. La guerre d'Indochine n'est pas finie. Et celle d'Algérie va très vite commencer…

"Monsieur le Président/
Je vous fais une lettre/
Que vous lirez peut-être/
Si vous avez le temps/
Je viens de recevoir/
Mes papiers militaires/
Pour partir à la guerre/
Avant mercredi soir/
Monsieur le Président/
Je ne veux pas la faire/
Je ne suis pas sur terre/
Pour tuer des pauvres gens/
C'est pas pour vous fâcher/
Il faut que je vous dise/
Ma décision est prise/
Je m'en vais déserter.

ainsi commence ce chant de révoltes contre la guerre, contre toutes les guerres, composé de 12 quatrains en hexasyllabe (six syllabes).
La chanson est est écrite sous la forme d’une lettre adressée à « Monsieur le Président » par un homme ayant reçu un ordre de mobilisation en raison d’un conflit armé. L’homme y explique qu’il ne souhaite pas partir à la guerre, et justifie sa décision par les décès survenus dans sa famille proche à cause de la guerre, et par le fait qu'il ne veut pas tuer de pauvres gens. Il révèle son intention de déserter pour vivre de mendicité tout en incitant les passants à suivre son exemple.
Mr. Philippe Boggio, biographe de Boris Vian dira: « C'est un texte universaliste qui symbolisera le refus de la guerre » … « C'est aussi l'une de ses rares chansons à porter sa signature musicale, avec celle de Harold Berg. » … « Inaudible pour l'époque, Vian est incroyablement gonflé. C'est un anar total: il est contre la bombe, les généraux, les uniformes » … « Le contingent, c'était sacré ! »
Vian va proposer sa chanson à plusieurs interprètes, qui à l'exception de Mouloudji, compagnon de route du Parti communiste, vont refuser. Cependant Mouloudji, note une contradiction entre le message pacifiste et la fin du texte, il n'imagine pas un pacifiste ayant un fusil, il est gêné par cette chute, par cet homme qui s'apprête à tuer pour ne pas aller à la guerre:
                                                        "Si vous me condamnez/
                                                          Prévenez vos gendarmes/
                                                          Que j'emporte des armes/
                                                          Et que je sais tirer".
Mouloudji propose de remplacer les deux derniers vers par:
                                                         "Que je n'aurai pas d'armes/
                                                             Et qu'ils pourront tirer".
Il demande son avis à Vian qui répond: "Tu fais comme tu veux Mouloud, c'est toi qui chantes". Et "Mouloud" l'inscrit à son répertoire, retenant sa propre version. 

Contextes militaire, politique et la censure, puis le scandale

En 1953, la chanson Quand un soldat, datée de 1952, chantée par Yves Montand et écrite par Francis Lemarque est interdite. Les affaires Henri Martin et Raymonde Dien (deux activistes contre la Guerre d’Indochine condamnés et emprisonés) font scandale.
Boris Vian publie sa chanson en 1954 à la fin de la guerre d'Indochine (1946-1954) alors que la contre-offensive française face aux troupes du général Võ Nguyên Giáp conduit à la défaite française de Diên Biên Phu où 1 500 soldats français sont tués. Pierre Mendès France doit ouvrir des négociations qui conduisent aux accords de Genève, signés le 21 juillet 1954. Le Vietnam, le Laos et le Cambodge deviennent indépendants. Puis en novembre 1954, la Toussaint rouge marque le début de la guerre d'Algérie (1954-1962)

Mouloudji l'interprète pour la première fois au Théâtre de l'Oeuvre, le 7 mai 1954, jour de la défaite française à Diên Biên Phu! C'est le scandale. Le 14 mai 1954 Mouloudji enregistre la version pacifiste de la chanson sur un disque 78 tours de marque Philips. En 1955, Vian la reprend en personne, d'une voix mourante et blanche, à cause du trac, à Paris puis en province où l'indignation repart de plus belle. A Perros-Guirec, un commando d'anciens combattants veut l'empêcher de chanter. A Dinard, le maire prend la tête des protestations.

En avril 1955, la chanson est enregistrée par Boris Vian au format 45 tours avec ses paroles définitives sur un disque intitulé Chansons impossibles, avec Les Joyeux Bouchers, Le petit Commerce et La Java des bombes atomiques. Quelques semaines plus tard, ce 45 T est réuni avec celui intitulé Chansons possibles pour former un 33 tours, signe d'une certaine reconnaissance. Toutefois les ventes de ces disques ne sont estimées initialement qu'à moins de 500 exemplaires. Philips ne procède par la suite à aucun retirage, sans doute en raison de la réputation sulfureuse de Boris Vian liée à sa chanson Le Déserteur. Des copies illégales circulent donc rapidement.
La chanson a été interprétée ensuite par Serge Reggiani, Juliette Gréco, Richard Anthony, Johnny Hallyday, Dan Bigras, Maxime Le Forestier, Ferhat Imazighen Imoula, Leny Escudero, Dédé Fortin, Joan Baez, Hugues Aufray, Marc Lavoine, Peter, Paul and Mary la chanteront, aux États-Unis, au début de la guerre du Viêt Nam., Luigi Tenco, Ornella Vanoni, Marc Robine, Ivano Fossati (it) et Renzo Gallo (it), ainsi que Les Sunlights. En 1964, l'artiste néerlandais Modèle:LIen enregistre une version néerlandophone, De deserteur. En 1983, Renaud en fait une adaptation, sous le titre Déserteur. En 2013 pour son album Ĉiamen plu, le groupe La Perdita Generacio adapte cette chanson en espéranto sous l'intitulé : « La dizertanto ».

Peu après sa sortie, la chanson est interdite de diffusion à la radio pour « antipatriotisme », notamment à cause de son dernier couplet. Paul Faber, conseiller municipal de la Seine, choqué par le passage à la radio de cette chanson, demande à ce qu'elle soit censurée en janvier 1955. En guise de réponse, Boris Vian écrit une mémorable « Lettre ouverte à Monsieur Paul Faber *» qu'il adresse pour diffusion à France-Dimanche; toutefois cette lettre n'est publiée qu'à titre posthume. En 1958, la radiodiffusion et la vente de ce chant antimilitariste furent interdites, Boris Vian se voyant, de plus, refuser par son éditeur la partition de la première version de la chanson. L'interdiction fut levée en 1962 après la guerre d'Algérie.

Chanter Le Déserteur en France, en 1963-64 était beaucoup moins problématique qu'en 1954 (voir à ce sujet la chanson Pauvre Boris de Jean Ferrat).
Dans les années 1965-1970, pendant la guerre du Viêt Nam, la chanson a été utilisée pendant des marches pacifistes et interprétée par Joan Baez et Peter, Paul and Mary. En 1991, elle a également été utilisée durant des manifestations contre l’intervention occidentale dans la guerre du Golfe. Renaud a adapté la chanson qu'il a publiée dans L'Idiot international le 9 janvier 1991. En conséquence, la chanson pacifiste a été inscrite sur la liste de proscription des radios.

Et le sujet reste brûlant: en 1999, une directrice des écoles à Montluçon, Mme Pinon, fut suspendue à vie de toute direction d’établissement pour l'avoir fait chanter à deux élèves le 8 mai 1999 pour commémorer la capitulation allemande du 8 mai 1945.

(Sources : "Le déserteur" de Vian : le destin exceptionnel d'un hymne pacifiste / http://m.culturebox.francetvinfo.fr/musique/chanson-francaise/le-deserteur-de-vian-le-destin-exceptionnel-dun-hymne-pacifiste-149369
Le Déserteur (chanson) Wikipedia 2015 11 19 /
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_D%C3%A9serteur_%28chanson%29

*

Le Déserteur / texte Français

(1954) par Boris Vian et Harold Berg 

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps

Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir

Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens

C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter

Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants

Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers

Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé

Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens

Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir

S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président

Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer


*

Le Déserteur / Deutscher Text

Verehrter Präsident,  Text Boris Vian, Musik Harold Berg (Musikalische Nachdichtung 2003 von Leobald Loewe

Verehrter Präsident,
vielleicht seid Ihr in Eile,
doch leset diese Zeile,
mit der mein Brief beginnt

Mir werden da gebracht
die Militärpapiere,
dass in den Krieg marschiere
ich noch vor Mittwoch Nacht.

Herr Präsident, ich bin
gewiss nicht Mensch geworden,
um Menschen zu ermorden,
das macht doch keinen Sinn.

Ich will nicht provozier'n,
wenn ich ganz offen sage:
Der Krieg kommt nicht in Frage,
ich werde desertier’n!

All’ meine Brüder sind
gerannt in ihr Verderben,
ich sah den Vater sterben,
es weinte auch mein Kind.

Meine Mutter trug so schwer,
sie ist mit ihren Sorgen
im Krieg verrückt geworden,
nun leidet sie nicht mehr.

Als ich gefangen war
sind sie ins Haus gekommen
und haben mir genommen,
die meine Liebe war.

Früh, wenn die Hähne kräh’n
will ich mein Bündel schnüren,
ein neues Leben führen
und auf die Straße geh’n.

Dann zieh’ ich ohne Ruh’
vom Norden in den Osten,
vom Süden in den Westen
und schrei’ den Leuten zu:

Verweigert den Befehl,
kämpft nicht in ihren Kriegen,
traut niemals ihren Lügen,
der Frieden wär’ ihr Ziel!

Ihr schwört im Parlament,
man müsse Blut vergießen,
so lasset eures fließen,
verehrter Präsident!

Jagt Ihr die Polizei
mir nach, so lasst sie grüßen,
sie könne auf mich schießen,
weil ich gefährlich sei!


Le déserteur ist ein Chanson, das von dem französischen Schriftsteller Boris Vian im Februar 1954 geschrieben wurde, die Melodie stammt von Harold Berg.
Neben Boris Vian selbst haben zahlreiche Künstler dieses Lied gesungen, darunter Marcel Mouloudji, Serge Reg-giani, Richard Anthony, Dan Bigras, Leny Escudero, Dédé Fortin, Esther Ofarim und Joan Baez.
Übertragungen ins Deutsche gibt es von Gerd Semmer, Hans Diebstahler, Erich Aurich (gesungen unter anderem von Zupfgeigenhansel) und Wolf Biermann, der mit seiner Version von 1983 (auf dem Album Im Hamburger Federbett) Jahresbester der Liederbestenliste wurde. Franz Hohler veröffentlichte 1973 mit Der Dienschtverwei-gerer (auf dem Album I glaub jetz hock i ab) eine Übertragung ins Schweizerdeutsche.
Als das Lied zum ersten Mal im Radio gespielt wurde, war Paul Faber, ein Mitglied des Rates des Départements Seine, so schockiert über den Text des Liedes, dass er dessen Zensierung verlangte. Als Antwort darauf verfasste Boris Vian den berühmten offenen Brief Lettre ouverte à Monsieur Faber. Die Ausstrahlung des Liedes durch Radiostationen blieb bis zum Ende des Algerienkrieges 1962 verboten.

*

Le Déserteur / English Translation

(The Deserter) by Boris Vian and Harold Berg

Mr. President
I'm writing you a letter
that perhaps you will read
If you have the time.

I've just received
my call-up papers
to leave for the front
Before Wednesday night.

Mr. President
I do not want to go
I am not on this earth
to kill wretched people.

It's not to make you mad
I must tell you
my decision is made
I am going to desert.

Since I was born
I have seen my father die
I have seen my brothers leave
and my children cry.

My mother has suffered so,
that she is in her grave
and she laughs at the bombs
and she laughs at the worms.

When I was a prisoner
they stole my wife
they stole my soul
and all my dear past.

Early tomorrow morning
I will shut my door
on these dead years
I will take to the road.

I will beg my way along
on the roads of France
from Brittany to Provence
and I will cry out to the people:

Refuse to obey
refuse to do it
don't go to war
refuse to go.

If blood must be given
go give your own
you are a good apostle
Mr. President.

If you go after me
warn your police
that I'll be unarmed
and that they can shoot.



***


Lettre ouverte à Monsieur Paul Faber

Lettre ouverte à Monsieur Paul Faber
Par Boris Vian   
Mardi, 01 Février 1955
Cher Monsieur,

Vous avez bien voulu attirer les rayons du flambeau de l'actualité sur une chanson fort simple et sans prétention. Le Déserteur, que vous avez entendue à la radio et dont je suis l'auteur. Vous avez cru devoir prétendre qu'il s'agissait là d'une insulte aux anciens combattants de toutes les guerres passées, présentes et à venir.

Vous avez demandé au préfet de la Seine que cette chanson ne passe plus sur les ondes. Ceci confirme à qui veut l'entendre l'existence d’une censure à la radio et c'est un détail utile à connaître.
Je regrette d'avoir à vous le dire, mais cette chanson a été applaudie par des milliers de spectateurs et notamment à 1’Olympia (3 semaines) et à Bobino (15 jours) depuis que Mouloudji la chante ; certains, je le sais l'ont trouvée choquante : ils étaient très peu nombreux et je crains qu'ils ne l'aient pas comprise. Voici quelques explications à leur usage.

De deux choses l'une : ancien combattant, vous battez-vous pour la paix ou pour le plaisir ? Si vous vous battiez pour la paix, ce que j’ose espérer, ne tombez pas sur quelqu'un qui est du même bord que vous et répondez à la question suivante : si l'on n'attaque pas la guerre pendant la paix, quand aura-t-on le droit de l'attaquer ? Ou alors vous aimiez la guerre - et vous vous battiez pour le plaisir ? C'est une supposition que je ne me permettrais pas même de faire, car pour ma part, je ne suis pas du type agressif. Ainsi cette chanson qui combat ce contre quoi vous avez combattu, ne tentez pas, en jouant sur les mots de la faire passer pour ce qu'elle n'est pas : ce n'est pas de bonne guerre.

Car il y a de bonnes guerres et de mauvaises guerres - encore que le rapprochement de " bonne " et de "guerre " soit de nature à me choquer, moi et bien d'autres, de prime abord - comme la chanson a pu vous choquer de prime abord. Appellerez-vous une bonne guerre celle que l'on a tentée de faire mener aux soldats français en 1940 ? Mal armés, mal guidés, mal informés, n’ayant souvent pour toute défense qu'un fusil dans lequel n'entraient même pas les cartouches qu'on leur donnait (Entre autres, c'est arrivé à mon frère aîné en mai 1940.), les soldats de 1940 ont donné au monde une leçon d'intelligence en refusant le combat: ceux qui étaient en mesure de le faire se sont battus - et fort bien battus: mais le beau geste qui consiste à se faire tuer pour rien n'est plus de mise aujourd'hui que l'on tue mécaniquement; il n’a même plus valeur de symbole, si l'on peut considérer qu'il l'ait eu en imposant au moins au vainqueur le respect du vaincu.

D'ailleurs mourir pour la patrie, c'est fort bien : encore faut-il ne pas mourir tous - car où sera la patrie ? Ce n'est pas la terre - ce sont les gens la patrie (Le général de Gaulle ne me contredira pas sur ce point, je pense.). Ce ne sont pas les soldats : ce sont les civils que l'on est censé défendre - et les soldats n'ont rien de plus pressé que de redevenir civils, car cela signifie que la guerre est terminée.
Au reste si cette chanson peut paraître indirectement viser une certaine catégorie de gens, ce ne sont à coup sûr pas les civils : les anciens combattants seraient-ils des militaires ? Et voudriez-vous m'expliquer ce que vous entendez, vous, par ancien combattant ? " Homme qui regrette d'avoir été obligé d'en venir aux armes pour se défendre " ou " homme qui regrette le temps ou l’on combattait" - Si c'est " homme qui a fait ses preuves de combattant ", cela prend une nuance agressive. Si c'est " homme qui a gagné une guerre ", c'est un peu vaniteux.

Croyez-moi... " ancien combattant ", c'est un mot dangereux ; on ne devrait pas se vanter d'avoir fait la guerre, on devrait le regretter - un ancien combattant est mieux placé que quiconque pour hair la guerre. Presque tous les vrais déserteurs sont des " anciens combattants " qui n'ont pas eu la force d'aller jusqu'à la fin du combat. Et qui leur jettera la pierre ? Non... si ma chanson peut déplaire, ce n'est pas à un ancien combattant, cher monsieur Faber. Cela ne peut être qu'à une certaine catégorie de militaires de carrière ; jusqu'à nouvel ordre, je considère l'ancien combattant comme un civil heureux de l'être. Il est des militaires de carrière qui considèrent la guerre comme un fléau inévitable et s'efforcent de l'abréger. Ils ont tort d'être militaires, car c'est se déclarer découragé d'avance et admettre que l'on ne peut prévenir ce fléau - mais ces militaires-là sont des hommes honnêtes. Bêtes mais honnêtes. Et ceux-là non plus n'ont pas pu se sentir visés. Sachez-le, certains m'ont félicité de cette chanson. Malheureusement, il en est d'autres. Et ceux-là, si je les ai choqués, j'en suis ravi. C'est bien leur tour. Oui, cher monsieur Faber, figurez-vous, certains militaires de carrière considèrent que la guerre n'a d'autre but que de tuer les gens. Le général Bradley par exemple, dont J'ai traduit les mémoires de guerre, le dit en toutes lettres. Entre nous, les neuf dixièmes des gens ont des idées fausses sur ce type de militaire de carrière. L'histoire telle qu'on l'enseigne est remplie du récit de leurs inutiles exploits et de leurs démolitions barbares ; j'aimerais mieux - et nous sommes quelques-uns dans ce cas - que l'on enseignât dans les écoles la vie d'Eupalinos ou le récit de la construction de Notre-Dame plutôt que la vie de César ou que le récit des exploits astucieux de Gengis Khan. Le bravache a toujours su forcer le civilisé à s'intéresser à son inintéressante personne ; où l'attention ne naît pas d'elle-même, il faut bien qu'on l'exige, et quoi de plus facile lorsque l'on dispose des armes. On ne règle pas ces problèmes en dix lignes : mais l'un des pays les plus civilisés du monde, la Suisse, les a résolus, je vous le ferai remarquer, en créant une armée de civils ; pour chacun d'eux, la guerre n'a qu'une signification : celle de se défendre. Cette guerre-là, c'est la bonne guerre. Tout au moins la seule inévitable. Celle qui nous est imposée par les faits.

Non, monsieur Faber, ne cherchez pas l'insulte où elle n'est pas et si vous la trouvez, sachez que c'est vous qui l'y aurez mise. Je dis clairement ce que je veux dire : et jamais je n'ai eu le désir d'insulter les anciens combattants des deux guerres, les résistants, parmi lesquels je compte bien des amis, et les morts de la guerre - parmi lesquels j'en comptais bien d'autres. Lorsque j'insulte (et cela ne m'arrive guère) je le fais franchement, croyez-moi. Jamais je n'insulterai des hommes comme moi, des civils, que l'on a revêtus d'un uniforme pour pouvoir les tuer comme de simples objets, en leur bourrant le crâne de mots d'ordre vides et de prétextes fallacieux. Se battre sans savoir pourquoi l'on se bat est le fait d'un imbécile et non celui d'un héros ; le héros, c'est celui qui accepte la mort lorsqu'il sait qu'elle sera utile aux valeurs qu'il défend. Le déserteur de ma chanson n'est qu'un homme qui ne sait pas ; et qui le lui explique ? Je ne sais de quelle guerre vous êtes ancien combattant - mais si vous avez fait la première, reconnaissez que vous étiez plus doué pour la guerre que pour la paix ; ceux qui, comme moi, ont eu 20 ans en 1940 ont reçu un drôle de cadeau d'anniversaire. Je ne pose pas pour les braves : ajourné à la suite d'une maladie de cœur, je ne me suis pas battu, je n'ai pas été déporté, je n'ai pas collaboré - je suis resté, quatre ans durant, un imbécile sous-alimenté parmi tant d'autres - un qui ne comprenait pas parce que pour comprendre, il faut qu'on vous explique. J'ai trente-quatre ans aujourd'hui, et je vous le dis : S'il s'agit de tomber au hasard d'un combat ignoble sous la gelée de napalm, pion obscur dans une mêlée guidée par des intérêts politiques, je refuse et je prends le maquis. Je ferai ma guerre à moi. Le pays entier s'est élevé contre la guerre d'Indochine lorsqu'il a fini par savoir ce qu'il en était, et les jeunes qui se sont fait tuer là-bas parce qu'ils croyaient servir à quelque chose - on le leur avait dit - je ne les insulte pas, je les pleure ; parmi eux se trouvaient, qui sait, de grands peintres, de grands musiciens, et à coup sûr, d'honnêtes gens.

Lorsque l'on voit une guerre prendre fin en un mois par la volonté d'un homme qui ne se paie pas, sur ce chapitre, de mots fumeux et glorieux, on est forcé de croire, si l'on ne l'avait pas compris, que celle-là au moins n'était pas inévitable. Demandez aux anciens combattants d'Indochine - à Philippe de Pirey, par exemple (Opération Sachis, chez Julliard.) - ce qu'ils en pensent. Ce n'est pas moi qui vous le dis - c'est quelqu'un qui en revient - mais peut-être ne lisez-vous pas. Si vous vous contentez de la radio, évidemment, vous n'êtes pas gâté sur le chapitre des informations. Comme moyen de progression culturelle, c'est excellent en théorie la radio ; mais ce n'est pas très judicieusement employé.

D'ailleurs, Je pourrais vous chicaner. Qui êtes-vous, pour me prendre à partie comme cela, monsieur Faber ? Vous considérez-vous comme un modèle ? Un étalon de référence ? Je ne demande pas mieux que de le croire - encore faudrait-il que Je vous connusse. Je ne demande pas mieux que de faire votre connaissance mais vous m'attaquez comme cela, sournoisement, sans même m'entendre (car j'aurais pu vous expliquer cette chanson, puisqu'il vous faut un dessin). Je serai ravi de prendre exemple sur vous si je reconnais en vous les qualités admirables que vous avez, je n'en doute pas, mais qui ne sont guère manifestes jusqu'ici puisque je ne connais de vous qu'un acte d'hostilité à l'égard d'un homme qui essaie de gagner sa vie en faisant des chansons pour d'autres hommes. Je veux bien suivre Faber, moi. Mais les hommes de ma génération en ont assez des leçons ; ils préfèrent ses exemples. Jusqu'ici je me suis contenté de gens comme Einstein, pour ne citer que lui - tenez, voici ce qu'il écrit des militaires, Einstein...

"... Ce sujet m'amène à parler de la pire des créations : celle des masses armées, du régime militaire, que Je hais ; je méprise profondément celui qui peut, avec plaisir, marcher en rangs et formations, derrière une musique : ce ne peut être que par erreur qu'il a reçu un cerveau ; une moelle épinière lui suffirait amplement. On devrait, aussi rapidement que possible, faire disparaître cette honte de la civilisation. L'héroïsme sur commande, les voies de faits stupides, le fâcheux esprit de nationalisme, combien Je hais tout cela : combien la guerre me paraît ignoble et méprisable ; J'aimerais mieux me laisser couper en morceaux que de participer à un acte aussi misérable. En dépit de tout. Je pense tant de bien de l'humanité que Je suis persuadé que ce revenant aurait depuis longtemps disparu si le bon sens des peuples n'était pas systématiquement corrompu, au moyen de l'école et de la presse, par les intéressés du monde politique et du monde des affaires. "

Attaquerez-vous Einstein, Monsieur Faber ? C'est plus dangereux que d'attaquer Vian, Je vous préviens... Et ne me dites pas qu'Einstein est un idiot : les militaires eux-mêmes vont lui emprunter ses recettes, car ils reconnaissent sa supériorité, voir chapitre atomique. Ils n'ont pas l'approbation d'Einstein, vous le voyez - ce sont de mauvais élèves ; et ce n'est pas Einstein le responsable d'Hiroshima ni de l'empoisonnement lent du Pacifique. Ils vont chercher leurs recettes chez lui et s'empressent d'en oublier le mode d'emploi : les lignes ci-dessus montrent bien qu'elles ne leur étaient pas destinées. Vous avez oublié le mode d'emploi de ma chanson, monsieur Faber : mais Je suis sans rancune : Je suis prêt à vous échanger contre Einstein comme modèle à suivre si vous me prouvez que J'y gagne. C'est que Je n'achète pas chat en poche.

Il y a encore un point sur lequel J'aurais voulu ne pas insister, car il ne vous fait pas honneur ; mais vous avez déclenché publiquement les hostilités ; vous êtes l'agresseur.
Pour tout vous dire, Je trouve assez peu glorieuse - s'il faut parler de gloire - la façon dont vous me cherchez noise.

Auteur à scandale (pour les gens qui ignorent les brimades raciales), ingénieur renégat, ex-musicien de Jazz, ex-tout ce que vous voudrez (voir la presse de l'époque), Je ne pèse pas lourd devant monsieur Paul Faber, conseiller municipal. Je suis une cible commode ; vous ne risquez pas grand-chose. Et vous voyez, pourtant loin de déserter, j'essaie de me défendre. Si c'est comme cela que vous comprenez la guerre, évidemment, c'est pour vous une opération sans danger ? mais alors pourquoi tous vos grands mots ? N'importe qui peut déposer une plainte contre n'importe qui - même si le second a eu l'approbation de la majorité. C'est généralement la minorité grincheuse qui proteste -et les juges lui donnent généralement raison, vous le savez ; vous Jouez à coup sûr. Vous voyez, Je ne suis même pas sûr que France-dimanche, à qui je l'adresse, publie cette lettre : que me restera-t-il pour lutter contre vos calomnies ? Ne vous battez pas comme ça, monsieur Faber, et croyez-moi : si Je sais qu'il est un lâche. Je ne me déroberai Jamais devant un adversaire, même beaucoup plus puissant que moi ; puisque c'est moi qui clame la prééminence de l'esprit sur la matière et de l'intelligence sur la brutalité, il m'appartiendra d'en faire la preuve - et si j'échoue, j'échouerai sans gloire, comme tous les pauvres gars qui dorment sous un mètre de terre et dont la mort n'a vraiment pas servi à donner aux survivants le goût de la paix. Mais de grâce, ne faites pas semblant de croire que lorsque j'insulte cette ignominie qu'est la guerre, j'insulte les malheureux qui en sont les victimes : ce sont des procédés caractéristiques de ceux qui les emploient que ceux qui consistent à faire semblant de ne pas comprendre ; et plutôt que de vous prendre pour un hypocrite j'ose espérer qu'en vérité, vous n'aviez rien compris et que la présente lettre dissipera heureusement les ténèbres. Et un conseil : si la radio vous ennuie, tournez le bouton ou donnez votre poste ; c'est ce que J'ai fait depuis six ans ; choisissez ce qui vous plaît, mais laissez les gens chanter, et écouter ce qui leur plaît.
C'est bien la liberté en général que vous défendiez quand vous vous battiez, ou la liberté de penser comme monsieur Faber ?

Bien cordialement,
Boris Vian



***

A tous les enfants (1954)

A tous les enfants qui sont partis le sac à dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
A tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé,
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
qui va tomber



Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud, sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent et comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des larmes de honte et de boue.

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